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Les aplasies médullaires

                 



1. Introduction

Définition : insuffisances médullaires quantitatives, secondaires à la disparition complète ou partielle du tissu hématopoïétique, sans prolifération cellulaire anormale. Elles peuvent être congénitale ou acquise, et dans ce cas primitive ou toxique.
Elles sont liées à une réduction du nombre des cellules souches pluripotentes susceptibles de se différencier.
Elles mettent en jeu le pronostic vital initial par le risque infectieux et hémorragique.
Une partie des pts peut aujourd’hui être traitée efficacement (immunodépresseurs, greffes allogéniques).
L’association au diagnostic ou la découverte plus tardive d’une hémoglobinurie nocturne paroxystique (HNP), d’un syndrome myélodysplasique et plus rarement d’une LA myéloïde doit être prise en compte pour chaque patient.





2. Etiologies

Rares formes constitutionnelles (avec dyskératose congénitale, insuffisance pancréatique) La plupart sont acquises
* dans la majorité des pts (> 80%) l’aplasie médullaire est idiopathique,
vraisemblablement de nature auto-immune.
* dans un petit nombre de cas :
- association avec une autre maladie : syndromes myélodysplasiques hypoplasiques, HNP.
- une forme rare d’origine génétique acquise : la maladie de Fanconi.
- divers médicaments peuvent être incriminés (thiophénicol, chloramphénicol, sulfamides, sels d’or, phénylbutazone, indométhacine, phénothiazines, amidopyrine, hydantoïnes,
antithyroïdiens de synthèse ; tout médicament nouveau est a priori suspect). Cependant les médicaments sont plus souvent hypoplasiants que véritablement aplasiants.
- toxiques : dérivés du benzène, organochlorés, insecticides, pesticides,…
- irradiations et chimiothérapies


- agents infectieux : hépatites virales (nonA, nonB, nonC) d’installation souvent brutale et gravissime. Les autres infections virales (CMV, EBV, herpes, HIV) sont plus hypoplasiantes.
L’infection à parvovirus B19 provoque une érythroblastopénie aiguë transitoire (3 semaines) mais peut parfois provoquer une aplasie vraie.

3. Physiopathologie

Dans la majorité des cas la destruction des progéniteurs semble d’origine immune,
mais on ne sait pas pourquoi les cellules T sont activées.
Des auto antigènes (encore mal connus) Þ la stimulation de cellules T cytotoxiques CD8+ exprimant des cytokines Th1, et des cellules présentatrices d’Ag (APC) induisent une
• de l’activation cellulaire T, ce qui aboutit à une synthèse accrue d’IFN •, de TNF• et d’IL-2.
Ces cytokines induisent l’expansion clonale de cellules T, ce qui entraîne en retour une augmentation de production d’IFN •, de TNF•. Ces 2 cytokines agissent sur les progéniteurs précoces de l’hématopoïèse CD34+ en induisant leur apoptose (activation de la
voie des caspases).

4. Epidémiologie et clinique

Maladies rares : incidence = 2/100 000 H/an (incidence triplée en Asie : origine infectieuse ?)
Il n’y a pas de syndrome tumoral.
Le début peut être brutal ou insidieux, dissocié au début (bicytopénie), mais l’atteinte des lignées est ensuite souvent globale avec syndromes anémique, infectieux et hémorragique
plus ou moins sévères selon l’importance des cytopénies.
On apprécie la gravité sur le plan clinique et sur le plan biologique :
- signes d’anémie : asthénie, pâleur cutanéo-muqueuse, tachycardie,…
- signes infectieux : tableau d’infection bactérienne sévère
- signes hémorragiques : purpura pétéchial ou cutanéo-muqueux, epistaxis, gingivorragies,
hématurie, métrorragies. Lors des thrombopénies majeures, les hémorragies rétiniennes ou cérébro-méningées gravissimes sont à craindre (rechercher les hémorragies rétiniennes au fond d’oeil).

Critères biologiques de gravité:
Aplasie sévère : richesse médullaire < 25% et 2 des 3 critères suivants (Camitta)
neutrophiles < 0.5 G/L
plaquettes < 20 G/L
réticulocytes < 20 G/L
Aplasie très sévère (critères de l’EBMT) :
mêmes critères avec neutrophiles < 0.2 G/L
Les pts ayant des critères de gravité ont en général une évolution catastrophique et constituent une indication de greffe en première intention
Les aplasies plus modérées ont souvent une évolution plus lente.

Les aplasies aiguës spontanément résolutives en quelques semaines sont rares mais doivent faire suspecter, surtout chez l’enfant, l’éclosion d’une LA dans les mois suivants.

5. Biologie

5.1. L’hémogramme

Pancytopénie plus ou moins sévère.
L’anémie est normocytaire, normochrome, parfois discrètement macrocytaire (VGM jusque 105 fl), arégénérative (réticulocytes < 20 G/L).
La leucopénie : essentiellement neutropénie, mais parfois • globale des leucocytes.
La thrombopénie est habituelle, parfois majeure.
Absence de cellules anormales sur le frottis sanguin.

5.2. Le myélogramme et la BOM

Myélogramme : moelle pauvre en cellules, avec raréfaction des 3 lignées myéloïdes et augmentation relative du nombre des lymphocytes, plasmocytes et cellules histiocytaires.
Souvent des mastocytes sont visibles. Absence de signes de dysmyélopoïèse ou de cellules anormales.

Mais un myélogramme pauvre ne peut à lui seul affirmer l’aplasie médullaire et la biopsie ostéo-médullaire (BOM) est indispensable.
BOM : moelle hypocellulaire voire désertique, avec de rares zones cellulaires entre les adipocytes, et un oedème hémorragique de la trame de soutien. Elle confirme l’absence de cellules tumorales ou de myélofibrose. (moelle totalement désertique = moelle sureau)

5.3. Autres examens biologiques

5.3.1. Rechercher un clone HNP par technique de cytométrie de flux.

Présence chez presque 50% des pts, mais très peu de pts aplasiques développeront une
composante hémolytique ou thrombotique.

5.3.2. Etude cytogénétique.

• à la recherche d’une fragilité chromosomique excessive. Chez les pts jusque 40 ans on peut évoquer la possibilité d’une maladie de Fanconi.
• caryotype médullaire : à la recherche d’une trisomie 8 ou d’une monosomie 7 (signes d’évolution).

5.3.3. Cultures de progéniteurs en milieu semi solide : les progéniteurs sont rares ou

absents, avec une réponse faible de la moelle à la stimulation par facteurs de croissance hématopoïétiques.

5.3.4. Scintigraphies

- Incorporation de l'Indium –Transferrine. Cette méthode montre les sites qui incorporent le fer : la captation médullaire est nulle dans les aplasies
- Incorporation du Fe59 (voir « métabolisme du fer »). On injecte une petite quantité de Fe59 et à intervalles réguliers on suit la vitesse de disparition sanguine, l’incorporation au niveau osseux (captation médullaire), puis la réapparition de la radioactivité dans les GR sanguins. Dans l’aplasie l’incorporation médullaire est faible et retardée.


5.3.5. Les examens suivants ne sont que rarement réalisés :

- Immunophénotype pour quantifier le nombre de cellules CD34+ résiduelles (on réalise un
immunophénotype pour rechercher un clone HNP)
- Immunophénotype lymphocytaire ; il montrerait la présence de cellules T CD8+ exprimant
l’IFN • intracytoplasmique, et l’expansion oligoclonale de cellules CD8+ CD28- (analyse des sous familles V• du TCR montrant peu de sous classes)
- Electrophorèse Hb : parfois augmentation de l’HbF
5.3.6. Bilan biologique complémentaire et de préparation à la greffe de progéniteurs :
- Groupe sanguin + phénotype érythrocytaire complet (avant toute transfusion).
- Recherche d’agglutinines irrégulières
- groupage HLA du patient et de sa fratrie (si < 65 ans)
- bilan immunologique et virologique : sérologies virales (HIV, hépatites A, B et C ; EBV,
parvovirus B19, CMV) ; anticorps anti nucléaires, facteur rhumatoïde.

6. Les maladies associées

6.1. Maladie de Fanconi

Affection rare, transmise sur le mode autosomique récessif survenant chez l’enfant et l’adolescent (4-20 ans). L’aplasie s’accompagne de malformations rénales, osseuses (avec pouces mal implantés) et cutanées avec taches mélaniques (« café au lait »,
et souvent un retard mental.
L’évolution de l’insuffisance médullaire est lentement progressive vers l’aplasie complète et il existe un risque accru de développer une leucémie aiguë ou un autre cancer.
Une anomalie des ADN réparases explique un nombre élevé de cassures chromosomiques spontanées [anomalies des gènes FANC].
Le diagnostic repose sur la découverte d’une cytopénie puis progressivement d’une pancytopénie d’aplasie chez un sujet jeune, avec une composante familiale. Le caryotype est réalisé par rapport à un témoin, en présence d’un antimétabolite : on compte le nombre
de mitoses avec cassures chromosomiques chez le malade et le témoin : nombreuses mitoses anormales chez le malade (absence de réparases), et très peu chez le témoin.

6.2. L’hémoglobinurie nocturne paroxystique (maladie de Marchiafawa Micheli)

Anémie hémolytique corpusculaire acquise liée à une anomalie acquise de la cellule souche hématopoïétique par défaut d'ancrage de diverses molécules membranaires. Le point commun est plusieurs molécules membranaires ont un système d’ancrage constitué de
glycoaminyl phosphatidyl inositol (GPI). L’anomalie du GPI est liée à une anomalie d’un gène présent sur le chromosome X (Xp22.1) codant pour une enzyme : la phosphatidyl inositol glycanne classe A (PIG-A), intervenant dans la synthèse d’un précurseur du GPI.
Plus particulièrement sont absentes les molécules permettant le catabolisme des fractions du complément qui se fixent sans arrêt sur la membrane du GR, ce complément s’active et devient hémolytique

6.2.1. Clinique


Maladie aux confins de l’aplasie médullaire, de la myélodysplasie ou de la leucémie aiguë myéloïde.
Souvent adulte jeune, présentant une hémoglobinurie nocturne (baisse du pH) ou déclenchée par vaccination, transfusion, aspirine, sulfamides.
Complications thromboemboliques (libération de l’ADP intra GR) : veines rénales, veines sus-hépatiques, cérébrales, mésentériques (douleurs abdominales)
L’anémie est hémolytique et chronique, mais peut évoluer avec des poussées intravasculaires sévères

6.2.2. Biologie

Anémie normochrome microcytaire (élimination chronique de fer sous forme d’hémosidérinurie entraînant une carence martiale), ou macrocytaire, non régénérative.
Sur frottis sanguins : parfois quelques schizocytes
Leucopénie et thrombopénie sont possibles, et une pancytopénie est présente dans 30% des cas au diagnostic.
Myélogramme : excès d’érythroblastes ; moelle parfois pauvre (dans l’évolution aspect d’aplasie possible, ou de LA)
Signes biochimiques de l’hémolyse : augmentation de la bilirubine libre, des LDH, de l’hémoglobine libre plasmatique, haptoglobine basse ; hémoglobinurie (et hémosidérinurie étudiable par la coloration de Perls sur le culot urinaire)
Test de Coombs négatif
Test de Ham Dacie : (peu sensible mais spécifique ; n’est plus utilisé) recherche d’une hyperhémolyse in vitro en milieu acidifié à pH = 6.5 (qui active la voie alterne du complément) : test positif quand la lyse dépasse 10% des hématies
Test au sucrose : en milieu de faible force ionique la fixation du complément est facilitée (plus sensible mais moins spécifique : sa négativité rend le diagnostic de l’HNP peu probable sauf si le sujet a été récemment transfusé)
Cytométrie de flux : très utilisée, elle permet de mettre en évidence la perte de diverses protéines membranaires qui un pont d’ancrage GPI. On recherche plus particulièrement sur
les hématies la perte des molécules DAF ou CD55 (decay accelerating factor), MIRL (Membrane inhibitor of reactive lysis, CD59) et HRF (homologous restriction factor), ou/et
du CD16 sur les granulocytes
La quantification est possible, précisant le % de cellules atteintes et donc l’importance du
clone

6.2.3. Evolution

Risque élevé de thromboses veineuses ou artérielles, infections et insuffisance rénale
Progression des cytopénies vers une pancytopénie (aplasie médullaire dans 25% des cas)
Evolution fréquente vers une LAM

6.2.4. Traitement

Transfusion de GR lavés, déplasmatisés, déleucocytés et déplaquettés.
L’allogreffe de MO reste le seul traitement curatif.

6.3. Syndromes myélodysplasiques (surtout après 50 ans).


- SMD hypoplasiques : rares, posent parfois le problème de diagnostic différentiel (il n’y a pas de dysplasie dans une aplasie médullaire)
- Moins rarement, les SMD sont une forme d’évolution des aplasies médullaires.
L’apparition d’une trisomie 8 évoque les SMD avec trisomie 8 qui ont plus souvent des
anomalies de l’immunité (les oligoclones T semblent reconnaître les cellules aneuploïdes,
notamment celles qui expriment des taux élevés de WT1).
L’apparition d’une monosomie 7 est rare dans l’aplasie, mais de mauvais pronostic.
L’évolution est rapide soit vers une aplasie non contrôlable soit vers une LA myélomonocytaire.
Remarque : ce type d’évolution est peut être lié à l’emploi de G-CSF qui sélectionnerait des clones portant un isoforme raccourci de G-CSF R avec signal de prolifération mais pas de
différenciation, comme dans la neutropénie congénitale sévère.

7. Pronostic général et traitement.

La mortalité globale est de 70% et survient principalement dans les premiers mois. Les guérisons spontanées sont plus rares que la mort ou le passage à la chronicité
Traitement symptomatique:
En attendant la récupération hématologique dans une aplasie toxique, ou en l’absence d’indication de greffe de moelle allogénique :
Traitement transfusionnel de l’anémie, prévention et traitement des hémorragies, prévention et traitement des complications infectieuses. L’emploi de l’EPO et du G-CSF n’a pas fait
preuve d’intérêt au long cours.
Traitement curatif :
Greffe de moelle osseuse allogénique : en première intention avant 40 ans.
Traitement immunosuppresseur avec sérum antilymphocytaire associé à la
ciclosporine.
Conclusion
Pancytopénie ne veut pas dire aplasie médullaire !!
Il est parfois difficile de préciser l’étiologie de l’aplasie.

Références.

Levy et coll. Abrégé d’Hématologie et transfusion, Masson, 2001
Young et coll. Blood 2006 ;108 :2509-2519.
Marsch JCW. Blood Reviews 2005 ;19 :143-151.
(M Zandecki, décembre 2006)







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